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2021 France - Japon

Alain MICHEL

Alain devient jeune motard à 14 ans avec une MOTOM 50 cm3 4 temps fabriquée à Milan et achetée 5 balles pour faire du tout terrain avec un copain.  Mais ses parents lui interdisent de faire de la moto sur la route, car il y avaient beaucoup d’accidents graves à l’époque en Suisse… A 20 ans, Alain part à l’armée, puis avec le choc pétrolier se retrouve au chômage avant de faire des petits boulots. Puisque la moto lui est toujours interdite à 24 ans, il se met en cachette à faire du delta plane. Mais quand il rencontre sa future femme, celle-ci préfère la planche à voile. Alain laisse  donc tomber le delta.

Avec sa femme et son beau-fils, ils font beaucoup de VTT tous les trois et le gamin acquiert un bon niveau national. Alain décide alors de racheter une bécane pour faire du “derrière moto“ pour entrainer son beau fils à vélo sur la route: ce sera une Malagutti 250 cm3 !

En 2012, après un petit passage à vide dans sa vie, il décide d’acheter une Honda Deauville NT700 bridée à 25kw, car c’est la seule puissance autorisée avec un simple permis auto en Suisse. Mais très vite il décide de passer enfin le permis moto et passe à la Honda NC700X, plus typée Trail. Puis quand Honda sort sa CB1100, il craque, l‘achète et la customise sur le thème de la 750 four… Enfin, il y a peu, Alain achète une Africa Twin CRF 1000 en 2016 et en presque 5 ans, il vadrouille l’Europe pour plus de 100.000 km !

Photographie de C. Cieuta.

Professionnellement, Alain est électricien de métier, spécialisé dans le bâtiment industriel et pendant plus de 20 ans, il gère l’entretien du  bâtiment central d’une grande banque suisse. En 2019, il participe au premier  raid Honda Adventure Road de la marque ailée en Afrique du Sud avec 36 équipages d’une dizaine de pays différents. Mais au retour, il n’en a pas assez et tombe sur t3.fr  en cherchant des raids motos sur internet. Il tombe en arrêt devant le projet d’expédition initial du TOKYO PARIS 2020 et s’inscrit parmi les premiers, après que sa femme l’y encourage pour profiter de sa passion. 

Mais en février 2020, Alain tombe malade. Lorsque je le croise au salon moto de Lyon, il ne va pas bien. Il fait des examens pensant avoir choppé le Covid mais son médecin lui trouve 50 millimol de glycémie dans le sang au lieu de 4 à 6 pour une personne en bonne santé. Il se retrouve rapidement à l’hôpital où on lui diagnostique un mauvais diabète, une forme de maladie auto-immune qui lui a attaqué le pancréas. Il va désormais devoir gérer la fonction de son pancréas lui même avec de l’insuline.  Il me rappelle après que le TOKYO PARIS 2020 ait été reporté d’un an et transformé en PARIS TOKYO 2021 :

“Eric, es tu capable de m’organiser une glacière pendant 3 mois pour transporter mes doses d’insuline ? Faut pas que la température dépasse les 25 °C et, surtout il ne faut pas que ça descende sous les 1°C car à 0°C, si ça gèle, mon insuline est foutue et je suis mort…“

J’imagine que tout organisateur normal de voyages aventure ne s’aventurerait pas à accepter un diabétique dans un groupe sur plusieurs mois. Mais on a déjà accepté des cas de handicaps variés dans le passé et i suffit d’après moi de bien gérer les données factuelles du risque et de les organiser. Je lui dis donc banco car ce gars là à une folle envie de vivre et de réaliser un vieux rêve de grande expédition aventure. Avec mon paramédical Joel Schuermans, on monte un plan de guerre pour la gestion de cette fameuse glacière et des centaines de doses d’insuline à protéger et transporter pour Alain.

Depuis le départ de Paris, dans ce long voyage, Alain gère de façon admirable et courageuse son diabète ..  Quand il est trop bas en glucide, il se prend un coca en urgence ou des figues. Une niveau trop bas de son taux de glycémie peut provoquer des tremblements, puis une transpiration intense, avant un comas inévitable suivi de la mort. Alain est donc notre cible de surveillance permanente pour le staff mais aussi pour les Irréductibles qui gardent un oeil sur lui. 

Quand le taux de glycémie d’Alain est trop haut, il fait de l’exercice ou se pique à insuline. Un soir sibérien, en revenant du restaurant du petit village de Archan, perdu en Bouriatie, alors que les Irreks retournaient à l’auberge, Alain part seul dans le noir, d’un pas vif en nous lançant : “ je suis trop haut, je pars marcher un peu..“ On est tous partis dans un grand fou rire car notre “Joe la piquouse“ est la mascotte du groupe ! Les Irreks ont tous beaucoup de respect et d’admiration pour lui.


Quand il roule sur sa moto, il doit s’arrêter toutes les heures environ pour contrôler son taux de glycémie avec une appli de son portable Samsung qu’il colle contre une sonde enfoncée de 1 cm sous son bras.  C’est souvent Pierre Faure qui est avec lui car tous les deux ont des affinités pour leurs pauses photos.

Chaque matin, Alain se pique avec une dose quotidienne d’insuline lente. Puis en fonction des menus de ce qu’on doit manger, il estime le nombre de doses qu’il doit s’injecter par seringue. Chaque soir il nous fait rire avec ses calculs à la louche : “ce soir y’a patates et millefeuilles… je vais me prendre 5 doses d’insuline…  Comme le dit Bruno, ce suisse est une “insulte à la médecine“…

La mission GLACIERE de chaque jour…

Chaque jour il s’injecte lui même entre 4 et 6 doses d’insuline. Dans la fameuse glacière gérée de façon consciencieuse par notre paramédical Joel et transportée dans le 4×4 SHERPA, il y a des dizaines de seringues qui contiennent chacune 300 unités d’insuline. Lors des journées de canicule en Asie centrale, chaque matin, Alain récupère ses seringues dans la glacière de Joel, puis il les met dans une pochette recouverte d’un tissu qu’il imbibe d’eau fraîche, avant de la glisser dans sa poche intérieure de blouson….

Dans cette expédition, Alain est venu chercher l’aventure, le contemplatif, les rencontres, la vie de groupe et surtout profiter de chaque instant sans se préoccuper des petits aléas du voyage.

A la veille du voyage, Alain m’avait confié : “tu sais, même si je ne reviens pas de ce voyage, je ne regretterais jamais de l’avoir fait“.. A 10 jours de l’arrivée à Vladivostok, notre courageux Suisse me confie qu’il n’a pas changé d’avis :  “je pense toujours ce que je t’ai dit avant de partir de Paris…  J’y pense chaque soir car pour moi, chaque jour vécu est un bonus inestimable“…

Photos T3 – T. Renavand – E. Massiet du Biest